Ce texte est publie avec l’aimable autorisation d’Ephraim Herrera, auteur des Lives “Etincelles de Manitou”

Il ne faut pas tomber dans l’illusion de croire qu’a priori les hommes sont des anges. Il y a une certaine méchanceté à se relier à l’autre comme si l’autre était un ange, parce qu’on l’attend au tournant, et dès qu’il se révèle que c’est un homme et pas un ange, on lui en veut de ne pas être ange. C’est une méchanceté supplémentaire. La véritable fraternité consiste à considérer que de même que moi j’ai une tendance au bien et une tendance au mal, l’autre aussi a une tendance au bien et une tendance au mal. Si je considère que l’autre a priori, fictivement, n’a qu’une tendance au bien, je me prépare le fait de pouvoir l’accuser par la suite d’avoir une tendance au mal. C’est de la méchanceté de faire comme si l’autre est un ange. L’autre, c’est un autre. C’est un autre un. [Question inaudible d’un élève]

Je me connais, je sais qu’en moi, il y a la tendance au bien et la tendance au mal. L’autre homme est comme moi quelqu’un qui a la tendance au bien et la tendance au mal. Il faut que j’en tienne compte. Il y a une méchanceté particulière à faire comme si l’autre est un saint par définition, et à la première faute qu’il fera, je me déclenche contre lui : « tu n’as pas honte ! » C’est un homme comme toi, il fallait le savoir d’avance.

Il y a quatre doctrines différentes dans l’histoire des cultures, sur la conscience morale de l’homme. Est-ce que l’homme est né que bon, et le mal lui est arrivé par la suite ? Est-ce que l’homme est né que mauvais, et le bien lui est arrivé par la suite ? Est-ce que l’homme n’est né ni mauvais ni bon, et il n’y a ni mal ni bien, il n’y a que l’utile ou l’inutile, l’agréable ou le désagréable, etc. ? Ou bien, est-ce que l’homme est d’emblée, de façon innée, doué d’une tendance au bien et d’une tendance au mal ? Il suffit de se connaître suffisamment sincèrement pour savoir que c’est la quatrième équation qui est l’équation réelle. Chacun se connaissant sait qu’il a envie de telle ou telle chose qu’il connaît comme bien, mais aussi il a envie de telle ou telle chose qu’il connaît comme mal, et que ce qui veut le bien en moi, c’est moi, mais que ce qui veut le mal en moi, c’est moi. Me connaissant ainsi, je dois savoir que l’autre aussi est comme ça, et que si je me relie à l’autre comme s’il n’était que mauvais, c’est de la méchanceté, et si je me relie à l’autre comme s’il n’était que bon, c’est aussi de la méchanceté, parce que finalement il va s’avérer qu’il a aussi des faiblesses, et je vais me donner le droit de lui en vouloir de surcroit parce que je faisais semblant a priori qu’il n’était que bon. Méfiez-vous de cela, ça joue souvent dans les haines passionnelles irréductibles : « Comment? Toi, tu fais ça? », « Pourquoi, toi tu ne l’aurais pas fait ? »

Cours sur les engendrements, 1984