Nous avons demandé à Georges Bensoussan de venir nous parler.
Dans un premier temps, nous avons beaucoup hésité sur le choix du sujet, car Georges Bensoussan, agrégé d’histoire, est spécialiste du monde juif sur des périodes et des lieux différents. C’est un grand spécialiste de la Shoah. Il a étudié le phénomène plutôt occulté de l’exode massif des juifs des pays arabes, il a écrit un livre sur l’histoire du sionisme, à propos duquel il nous a confié que c’est l’ouvrage qu’il a eu le plus de plaisir à écrire. Son dernier livre raconte l’Alliance Israélite Universelle, cette institution qui a façonné toute une période de l’histoire des juifs.
Il est aussi spécialiste de l’histoire contemporaine en France, avec le problème existentiel de ce pays face à l’immigration musulmane. Il écrit sous le nom d’Emmanuel Brenner le désormais classique ‘Les territoires perdus de la République’’, où il démontre, faits à l’appui, l’antisémitisme des banlieues et la désagrégation silencieuse des valeurs qui ont fait la France. Le livre qui parait en 2002 est un évènement, à l’époque où les actes antisémites étaient dissimulés sous la rubrique des faits divers.
Georges Bensoussan ne s’associe pas aux voix du ‘’politiquement correct’’ et il en paiera le prix fort. Lorsqu’à une émission de radio il cite un sociologue arabe qui rappelle que les musulmans sont initiés à l’antisémitisme au biberon, la LICRA qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme s’associe au Collectif contre l’islamophobie CCIF, et se porte également partie civile contre lui. Bensoussan gagne définitivement son procès après des années de procédure pendant lesquelles la Communauté Juive officielle ne l’a pas soutenu. Dans ce contexte il a été limogé du Mémorial de la Shoah après 29 ans de loyaux services. Bensoussan décrit les dirigeants de la communauté juive de France :’’Ces petits marquis qui gravitent dans le périmètre étroit du Paris chic ‘’ et qui finalement cautionnent le discours dominant.
La Midreshet Yehoudah Manitou tenait absolument à inviter cet historien courageux, et c’est finalement le sujet de l’exode des juifs des pays arabes qui a été retenu. Ce 4 mars au soir, malgré les craintes liées à l’épidémie de corona qui menace, nous étions nombreux à accueillir Bensoussan.
Toute une partie du public a vécu personnellement l’exode des pays arabes, mais rares sont ceux qui avaient conscience des véritables causes de ce déracinement. Car Bensoussan démontre qu’il ne s’agit pas seulement d’un évènement lié à l’émergence d’un Etat Juif en Palestine –même si les arabes ont brandi la menace de représailles sur les juifs des autres pays arabes. L’origine du phénomène est plus profonde : on la retrouve dans le fossé culturel entre les enfants juifs et les enfants arabes qui ne savent pas lire. Bensoussan raconte par que les premières femmes médecin et avocate au Moyen Orient sont été des juives irakiennes.
Le conflit entre juifs et arabes résulte d’un double antagonisme : d’une part les deux communautés développent une relation inverse au colonisateur : pour les juifs, ce dernier est un facteur d’émancipation, pour les arabes c’est un envahisseur. D’autre part l’élévation sociale des juifs se heurte à leur statut inférieur de dhimmis dans l’islam.
Ce conflit se déroule sur fond de violences dont sont victimes les juifs. Bensoussan relate les massacres, notamment le grand massacre des juifs en Irak en 1941, le Faroud, mais aussi les persécutions dans pratiquement tous les pays arabes et il montre le rôle déterminant de l’islam dans le nationalisme arabe, et ce dès le début. Il n’y eut aucune solidarité des arabes lorsque les juifs sont persécutés par les mesures discriminatoires du régime de Vichy, ou lorsqu’ils sont déportés en Tunisie.
De sorte que lorsqu’il est question d’indépendance des pays arabes, les juifs craignent le départ des colonisateurs. Les juifs ont peur. Ils quitteront donc les terres de leurs ancêtres à la première occasion.
Le travail de Bensoussan a contribué à réintégrer ce grand déracinement dans le récit de l’histoire du peuple juif.
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